Parce que les entreprises n’ont pas pu anticiper cet arrêt imprévu et imprévisible de leur activité, alors qu’elles anticipent les charges très lourdes du mois d’août (ou des autres mois de congés annuels) en adaptant leurs prix et leur activité en conséquence pendant le reste de l’année.

Il ne s’agit donc pas d’un problème matériel (il n’y a pas de pénuries pour les biens vitaux) mais d’un problème comptable, purement virtuel, qui dépend des règles du jeu établies et imposées à tous les acteurs économiques. Or des solutions ingénieuses ont été inventées par les humains pour ce genre de problèmes : en comptabilité, il existe les provisions et les amortissements ; et puis il y a également les assurances qui sont justement conçues pour les coups durs.

Mais, en l’occurrence, le problème, c’est justement qu’aucun système comptable ou financier n’a pour le moment été conçu pour faire face à un confinement. Et il va donc falloir faire avec les outils que nous avons à notre disposition, dans l’instant.

Dès lors, on comprend bien que faute d’avoir pu anticiper cette situation, ce n’est pas l’arrêt d’une grande partie des activités économiques qui pose problème, mais la façon dont on va gérer les dettes au sens large, c’est-à-dire ce que chaque entreprise s’est engagée à payer à d’autres (salaires, factures de fournisseurs et de transporteurs, crédits bancaires, loyers, prélèvements obligatoires). En outre, il faudra bien entendu que l’Etat verse des revenus compensatoires pour permettre à chacun de survivre.

Par ailleurs, les règles du jeu de notre système économique ont été élaborées pour favoriser la croissance : c’est la raison d’être des crédits bancaires et des marchés financiers. Mais elles n’ont pas été conçues pour faire face à une forte réduction de l’activité économique. En effet, les contrats (de location et de crédits) et les prélèvements obligatoires n’ont tout simplement pas prévu que les recettes des entreprises et les revenus des ménages puissent se tarir soudainement pour un cas de force majeure. Et si on continue à appliquer les règles habituelles, alors elles s’avèreront extrêmement destructrices, comme on le voit aux Etats-Unis.

Appliquer les règles habituelles, c’est se condamner à des conséquences inutilement monstrueuses. Alors qu’on peut aisément faire autrement.

Dès lors, comment atténuer le plus possible les conséquences économiques du confinement ?

 

 

 1. Geler la comptabilité des entreprises à l’arrêt

 

Un des problèmes principaux auquel nous sommes confrontés, c’est le risque de faillite des entreprises : le fait que les entreprises continuent d’avoir des charges à payer sans pouvoir les couvrir par des recettes, parce que leur activité est arrêtée.

Dans le cas présent, pour éviter la faillite des entreprises et le chômage de masse qui s’en serait suivi, le gouvernement français a choisi de modifier quelques règles par rapport aux pratiques habituelles. Ainsi, il va :

  • Prendre à sa charge provisoirement le paiement des salaires afin d’éviter les licenciements (c’est le principe du chômage partiel)
  • Demander un report des loyers et des remboursements de crédit pour certaines entreprises
  • Proposer un report des taxes et des impôts

Le problème, c’est que cette solution conduit l’Etat à s’endetter de façon colossale, prenant ainsi le risque que les investisseurs finissent par douter de sa capacité à rembourser les obligations à terme, ce qui pourrait provoquer dans quelques mois ou quelques années une crise de la dette comme en ont connu les Grecs, les Argentins ou les Vénézuéliens récemment. En outre, cette solution n’est tenable qu’avec une forte croissance…

Mais heureusement, il existe une autre solution !...

En effet, la faillite est une règle du jeu qui se justifie lorsque l’économie fonctionne normalement. Le principe en est simple : toutes les entreprises ont l’obligation d’avoir constamment un solde positif sur leurs comptes bancaires. Néanmoins, elles sont autorisées à emprunter (à court, moyen ou long terme) tant qu’elles sont en mesure de rembourser les crédits selon l’échéancier prévu. Et c’est le rôle des conseillers bancaires de vérifier et de faire en sorte que chaque entreprise respecte bien ces règles. Ainsi les conseillers bancaires sont en quelque sorte l’arbitre de ce jeu et les rappellent régulièrement à l’ordre.

Mais pourquoi est-il aussi important de soumettre toutes les entreprises à la règle de la faillite ?

Parce que c’est ce qui permet d’établir des prix. En effet, si les entreprises avaient le droit d’avoir un solde négatif important en permanence (comme c’est le cas dans les systèmes de crédit mutuel qu’on trouve dans les SEL, les Systèmes d’Echange Locaux), il serait impossible d’établir des prix et de faire jouer la concurrence. On a besoin d’une limite (en l’occurrence 0) pour établir des prix !

En revanche, la faillite n’a pas pour vocation de déterminer quelles entreprises ne sont plus utiles, car une entreprise peut en réalité faire faillite pour plein de raisons différentes : la concurrence étrangère, un manque de clientèle, une incapacité à s’adapter à des innovations, un concurrent qui s’implante tout près, des problèmes de trésorerie, de crédits, des impayés de la part de clients, des aléas climatiques imprévisibles, etc. Autant de raisons qui ne révèlent pas toutes, loin s’en faut, l’inutilité des entreprises en faillite. Par conséquent, la faillite est juste une règle qui permet à toutes les entreprises de jouer au même jeu et d’établir des prix, tout en étant en concurrence.

Mais quand une grande partie de la population est confinée et qu’un certain nombre d’entreprises (notamment les commerces) sont fermées à la demande du gouvernement, alors la règle de la faillite n’a plus lieu d’être. Elle n’a plus aucun sens. Elle ne présente plus aucune vertu collective. Elle n’apporte rien. Elle doit donc être levée provisoirement et les comptes des entreprises doivent être gelés. Et les charges subsistantes doivent être prises en charge par l’Etat.

Car en l'occurrence, les faillites ne seront pas dues à une mauvaise gestion. La société dans son ensemble n'a donc aucun intérêt à mettre l'ensemble des entreprises en difficulté financière.

Les banques elles-mêmes n’ont pas intérêt à laisser les comptes des entreprises se dégrader, car des faillites en chaîne signifient aussi une incapacité à rembourser les crédits bancaires. Les banques ont donc tout intérêt à repousser de quelques mois les échéances de remboursement des crédits. Dans ce cas, c’est donc à l’Etat d’établir une nouvelle règle, qu’il doit imposer aux banques : tous les échéanciers de crédits doivent être repoussés jusqu’à nouvel ordre (le report d’échéance est d’ailleurs une clause qui existe dans certains contrats de crédits immobiliers lorsqu’une difficulté passagère se présente).

En clair, dans l’intérêt général, la solution idéale est de geler les comptes des entreprises au moment où l’activité s’arrête, puis de laisser l’Etat prendre en charge tous les frais incompressibles de la période de confinement. Ainsi le jour où l'activité reprend, c’est comme si les deux mois de confinement n’avaient pas existé dans la comptabilité.
Mais pour que cela soit possible (et ça l’est, techniquement, c’est donc juste une question de volonté), il faut que l'État :

  1. verse un revenu à tous les citoyens dont l'activité s'est arrêtée
    2. prenne à sa charge les frais incompressibles des entreprises à l'arrêt (sécurité, électricité, etc)
    3. demande aux banques de reporter le remboursement des crédits
    4. demande aux propriétaires de suspendre le paiement des loyers

 

 

 2. Suspendre le paiement des loyers

 

Aux Etats-Unis, beaucoup de commerces font faillite parce qu’ils se retrouvent dans l’incapacité de payer leurs loyers. C’est la cause principale des faillites et du licenciement de dizaines de millions d’Américains. Malgré cela, les autorités n’osent pas remettre en question le paiement des loyers, le temps du confinement.

Les loyers font partie de ces institutions auxquelles on est tellement habitués qu’on en oublie leur raison d’être. Or, si on observe le système de financement de l’économie dans son ensemble, un loyer a essentiellement pour fonction de permettre le remboursement du crédit immobilier ayant permis la construction ou le rachat d’un logement. Ainsi, bien souvent, les propriétaires utilisent une grande partie du loyer pour rembourser les mensualités du crédit immobilier qui leur a permis d’acquérir le logement loué. C’est pourquoi, ce loyer devrait pouvoir être suspendu quelques mois, en cas de nécessité absolue (comme une période de confinement par exemple), en même temps que le crédit immobilier du propriétaire. L’autre fonction des loyers est de mettre à la charge des propriétaires un certain nombre de travaux dont le montant très élevé (et parfois financé à crédit par le propriétaire) serait difficile à assumer par les locataires. Enfin, l’investissement locatif est également considéré comme un placement financier, qui est censé rapporter de l’argent, grâce à la marge réalisée sur chaque loyer.

Sachant que la charge principale des propriétaires est le remboursement des crédits immobiliers, si l’Etat demande aux banques de reporter les échéances de tous les crédits pendant la période de confinement, il pourrait donc également demander la suspension du paiement de tous les loyers. Dans l’immense majorité des cas, le non-paiement des loyers ne mettra pas en danger les propriétaires, qui seront juste privés de la marge, si les échéances de leurs crédits immobiliers sont reportées.

En revanche si l’Etat prend à sa charge le paiement des loyers (ce qui est le cas avec le chômage partiel), alors cela peut favoriser les propriétaires, qui continuent à toucher le même revenu alors que les salariés voient leur revenu diminuer, ce qui va accroître les inégalités.

Concernant les indépendants qui ne recevraient pas une indemnité suffisante, certains se sentiront obligés de puiser dans l’épargne qu’ils avaient fait l’effort de mettre de côté depuis des années, alors que leurs propriétaires continueront à toucher tranquillement leurs loyers. Certains demanderont un étalement du paiement des loyers sur les prochains mois, ce qui les mettra en grande difficulté financière.

Mais il y a pire : certains indépendants, les travailleurs précaires (en CDD, en intérim ou à temps partiel), mais aussi ceux qui travaillent au noir pour survivre avec (ou sans) RSA, vont être incapables de payer leur loyer et ils risquent de se retrouver à la rue quand la trêve hivernale (prolongée provisoirement jusqu’au 31 mai) s’achèvera. Globalement, en cas d’impayé, tout le monde sera perdant : le propriétaire n’aura pas touché de loyer et le locataire risque de se retrouver à la rue, sans qu’aucun des deux ne soit responsable de la situation. C’est là qu’on voit que les règles du jeu habituelles (le respect des contrats de location) ne sont pas du tout adaptées à la situation et qu’il faut absolument en changer provisoirement.

Dans l’épreuve que nous vivons, nous devons être solidaires et focaliser notre attention sur ceux qui ont le plus de difficultés financières, à savoir les précaires et les travailleurs non déclarés.

Si le gouvernement laisse payer les loyers, cela accroîtra les dettes et les expulsions. En revanche, la suppression temporaire du paiement des loyers aurait pour vertu d’éviter de nombreux conflits sans avoir un impact dramatique pour la plupart des propriétaires, si le remboursement des crédits immobiliers est repoussé.

Notons au passage que ce problème (énorme) disparaîtrait totalement si tout le monde devenait propriétaire de son logement, comme je le préconise dans « Ecosophia » (2), car alors nous n’aurions que des mensualités à payer aux banques, lesquelles pourraient aisément être reportées.

Il ne faut pas oublier qu’un quart des ménages français n’ont aucune épargne (1) et sont donc incapables de payer leur loyer dès que leur revenu habituel est fortement réduit. Dès lors, il est largement préférable que le paiement des loyers et des mensualités de crédits soit suspendu le temps du confinement.

Concernant les entreprises, si les loyers sont une des causes principales des faillites, alors cela signifie qu’en respectant la règle habituelle, on aura privilégié la fonction de rentier sur celle d’entrepreneur. Or les propriétaires ne pourront pas toucher de loyers s’il n’y a pas de production de richesse !!!

Les gouvernements, en tant que garants de l’intérêt général, devraient donc convaincre les propriétaires qu’ils ont tout intérêt à accepter de perdre un peu d’argent provisoirement pour ne pas perdre durablement la source de revenus que constituent pour eux les loyers.

Le gouvernement français a pour sa part fait le choix, dans un premier temps, de rendre possible un report et un étalement du loyer pour les petites entreprises, en supprimant les pénalités sur les défauts de paiement des loyers. Ce qui signifie qu’elles devront payer plus tard la facture ! Alors que les entreprises propriétaires de leurs locaux n’auront pas à payer cette charge supplémentaire. 

En fait, si la suspension du paiement des loyers est plus que souhaitable, elle est malheureusement difficile à mettre en place d’un point de vue légal. C’est probablement pourquoi les gouvernements européens ont préféré verser des revenus compensatoires, incluant le paiement des loyers, aux salariés en chômage partiel.

Mais, cette solution est inadaptée pour les indépendants dont les revenus sont très fluctuants, sauf si l’Etat verse à chacun une allocation permettant de couvrir le montant de leur loyer et les besoins essentiels. En revanche, il n’est pas souhaitable de verser à chacun une allocation d’un montant fixe et égal pour tout le monde, incluant le paiement du loyer, car les loyers sont très différents d’une personne à l’autre. Sauf si son montant est très élevé : il faudrait dans ce cas qu’il inclut le montant du loyer le plus élevé, ce qui coûterait très cher à l’Etat, et ne serait pas très juste par rapport aux salariés.

Au final, la solution la plus juste pour tout le monde (indépendants, précaires, salariés, Etat et propriétaires) me semble donc être de verser une allocation de base permettant de couvrir les besoins essentiels (alimentation, eau, électricité, communications) et de suspendre le paiement des loyers et le remboursement des crédits pour tout le monde en attendant la reprise complète des activités économiques.

 

 

 3. Reporter les échéances de tous les crédits

 

Reporter les échéances de tous les crédits de quelques mois peut-il provoquer la faillite des banques ?

La réponse est clairement : non. Pourquoi ? Parce qu’une banque n’est pas une entreprise comme une autre. Sa fonction première est de gérer et de sécuriser les comptes de ses clients, et d’assurer les virements et les retraits. Et il est inconcevable que les clients d’une banque puissent voir le solde de leur compte (et donc le résultat de leur travail) disparaître parce qu’une banque aurait été mal gérée, en prenant trop de risques, ou à cause d’une crise sanitaire qui aurait généré une crise économique.

C’est pourquoi il existe différentes solutions pour protéger le solde de tous les comptes : le rachat par une grosse banque d’une petite banque en difficulté, l’intervention de la Banque centrale qui peut racheter des actifs pour fournir des liquidités ou l’intervention de l’Etat qui peut proposer des avances remboursables, recapitaliser une banque voire la nationaliser provisoirement.

En aucun cas, une faillite des banques ne devrait être à craindre, sauf à considérer que les règles de la comptabilité bancaire et les règles prudentielles seraient immuables et ne pourraient pas être modifiées en cas de besoin, ce qui serait suicidaire et profondément stupide.

Les règles de la vie économique doivent être adaptées à l’intérêt général et si à un moment donné, le respect de ces règles va à l’encontre du bien commun de façon évidente et incontestable, alors c’est qu’il est temps de changer ces règles.

Ainsi, si les règles du jeu actuelles ne permettent pas d’absorber un confinement pour raisons sanitaires, alors c’est qu’il faut modifier ces règles. L’Humanité doit pouvoir choisir de se confiner pendant plusieurs mois sans se retrouver avec des problèmes financiers insolubles lors du déconfinement : les faillites d’entreprises, la fragilisation du système bancaire ou l’explosion de la dette publique sont le résultat d’un système qui n’a pas été conçu pour absorber un confinement. Désormais, cela devra être intégré dans les règles du jeu, exactement comme la maladie, les accidents du travail, les accidents de la route, sont provisionnés par le système assurantiel privé ou public.

Et comme ce confinement n’a pas été provisionné, il nous faut trouver des astuces comptables pour limiter au maximum son impact sur les finances des ménages, des entreprises et de l’Etat. Il va donc falloir être inventif et créatif au niveau de la comptabilité des banques. Il s’agit de modifier quelques règles du jeu. Ainsi il faudra faire en sorte que les banques puissent accompagner une période de confinement, en supportant un report des remboursements de crédits de plusieurs mois et des annulations de dettes, sans que cela les mette en difficulté. Pour cela il faudra certainement trouver un accord international pour réécrire la comptabilité bancaire. Mais dans la mesure où tous les pays du monde sont concernés et ont intérêt à cette réforme, cela devrait pouvoir se faire.

Finalement, tout cela reste un problème purement intellectuel et conceptuel. Il ne s’agit pas d’un problème matériel, comme une pénurie de nourriture. Par conséquent, on peut trouver des solutions et éviter une crise économique, qui serait simplement due au respect de règles du jeu qui n’auraient pas prévu un confinement.

 

 

 4. Faire en sorte que tous les adultes disposent d’un revenu suffisant

 

Apparemment, le système de chômage partiel proposé par le gouvernement français est un des plus généreux au monde. Tant mieux.

En revanche le système qui a été choisi pour fournir un revenu de remplacement aux indépendants est tout à fait inadapté. Car s’il peut convenir à des métiers qui ont un chiffre d’affaires assez régulier d’une année sur l’autre, en revanche il n’est pas du tout adapté à tous les métiers qui ont une activité très fluctuante et qui fonctionnent avec des contrats ou des événements ponctuels. En effet, pour avoir accès au Fonds de solidarité, il fallait début avril que le chiffre d’affaires de mars 2020 soit inférieur de plus de 70% au chiffre d’affaires de mars 2019. Or dans des métiers de consultants, conférenciers, artistes-peintres, musiciens, photographes, avocats, traducteurs, il se peut très bien que vous ayez eu très peu d’activité en mars 2019 et qu’en revanche vous étiez en train de préparer de gros événements qui ont été annulés pour mars et avril 2020. Et dans ce cas, vous ne toucherez rien du Fonds de solidarité, même si vous avez eu des revenus tout à fait suffisants pour vivre sur l’ensemble de l’année 2019.

Le système imaginé par le gouvernement français pour les indépendants révèle une méconnaissance du fonctionnement de leur activité et il va falloir le corriger au plus vite. Car pour le moment, beaucoup d’indépendants sont soit obligés de prélever dans leur épargne (qui risque de s’épuiser très rapidement), soit contraints de demander de l’aide à leur famille ou à leurs amis (ce qui est très humiliant pour des gens autonomes habitués à se battre en permanence pour trouver de nouveaux clients et de nouveaux contrats). Seront-ils contraints de s'endetter auprès de leurs proches pour payer leur loyer au risque de ne pas pouvoir les rembourser par la suite et de se fâcher avec eux ? Ou seront-ils dans l'incapacité de payer leur loyer, risquant ainsi de se retrouver à la rue ?

En vérité, rien ne justifie que les salariés soient protégés et que de nombreux indépendants se retrouvent dans la misère. Ni les uns, ni les autres ne sont responsables de la situation.


Il faut donc de toute urgence verser une allocation aux indépendants, qui ne sont nullement responsables de l'arrêt soudain de leur activité. Ce que le gouvernement allemand a très bien compris, puisqu’il a décidé de verser une allocation sans conditions de 3500 à 8000 euros (selon les Länder) à tous les indépendants, ce qui évite d’avoir à traiter les dossiers un par un.

Concernant les précaires, le gouvernement semble inconscient de la réalité des choses : ainsi, en raison du niveau très faible du RSA, ses bénéficiaires sont pour la plupart contraints de trouver des revenus complémentaires pour pouvoir survivre et payer un loyer. Or, bien souvent, ces revenus proviennent de petits boulots non déclarés qu’ils ont dû arrêter du jour au lendemain en raison du confinement, se retrouvant ainsi dans l’incapacité de payer leur loyer, avec le risque de se faire expulser.

Mais il y a pire : une partie de la population vit du travail non déclaré sans toucher d’allocations et s’est retrouvée du jour au lendemain sans aucune ressource. Le caractère illégal de leurs revenus fait qu’ils n’osent rien demander à l’Etat. Ils ne peuvent faire appel qu’à la solidarité de leurs proches ou d’associations caritatives. Mais il y a un risque non négligeable qu’ils soient tentés de voler pour arriver à survivre si le confinement dure trop longtemps et que les solidarités s’étiolent. C’est en tout cas une grande préoccupation pour le gouvernement italien, sachant qu’une grande partie de la population du sud de l’Italie travaille au noir !

Là encore, on voit bien qu’une allocation versée à tous les non-salariés est la seule solution valable dans une situation de confinement.

En revanche, on peut penser que la solution du chômage partiel était préférable à une allocation de base provisoire pour les salariés afin d'éviter des licenciements massifs, comme on le voit aux États-Unis où le dispositif n’existe pas et où des dizaines de millions d’américains sont en train de perdre leur emploi et l’assurance santé qui va avec, le gouvernement américain ayant préféré leur verser un chèque de 1200 dollars par personne + 500 dollars par enfant.

 

 

 5. Créer de la monnaie pour réduire les dettes publiques et privées

 

Dans une situation de confinement, une grande partie des activités sont arrêtées, ce qui génère automatiquement une baisse considérable des recettes fiscales sur plusieurs mois. En outre, le fait que l’Etat ait choisi de verser des revenus compensatoires aux salariés et à certains indépendants augmente les dépenses publiques de façon colossale. Il serait d’ailleurs peut-être préférable dans une telle situation que ce soit la Banque centrale qui verse directement une allocation de base à chaque citoyen (sous forme d’ « Helicopter Money »), car ça éviterait de creuser inutilement la dette.

La baisse des recettes fiscales et l’augmentation des dépenses publiques vont creuser le déficit public de façon très importante, ce qui va obliger l’Etat à emprunter beaucoup d’argent sur le marché obligataire, accroissant ainsi fortement sa dette. Et si, pour le moment, le gouvernement français semble pouvoir emprunter assez facilement à des taux intéressants, ce mode de financement de l’Etat est extrêmement risqué, puisqu’il dépend notamment de la confiance très fragile des investisseurs étrangers qui possèdent plus de la moitié des obligations d’Etat françaises et qui pourraient décider de les revendre à tout moment, provoquant ainsi une crise sur le taux de change qui pourrait générer une forte inflation. Cela n’est pas une fiction et certains pays sont apparemment déjà au bord de la cessation de paiement. En outre, ce mode de financement par le marché obligataire n’est pas tenable dans la durée car il exige de faire de la croissance pour être en capacité de rembourser les obligations à leur terme et de verser des intérêts.

 

Or nous allons rentrer dans une période où la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre va probablement nous contraindre à réduire l’activité économique, sans quoi nous ne pourrons jamais atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés dans les accords de Paris.

Par conséquent, que ce soit pour des raisons financières ou écologiques, tous les Etats du monde vont devoir se mettre d’accord pour modifier leur mode de financement, lors d’une grande conférence internationale.

Ils y ont tous intérêt, car même les Etats qui arrivent encore à emprunter facilement sur le marché obligataire (mais pour combien de temps ?), subiront très vite les conséquences de l’effondrement des Etats qui ne pourront plus emprunter sur les marchés, que ce soit en terme d’échanges commerciaux ou de flux migratoires.

Donner aux Etats une capacité de création monétaire (dont les règles et les limites doivent être établies au niveau mondial, comme c’est le cas pour la création monétaire par les banques, la comptabilité ou le fonctionnement des marchés financiers) devient une urgence absolue, à traiter dans l’année 2020.

Cela permettra de ne pas faire peser la dette publique sur les générations à venir, puisqu’on sera alors en capacité de ne plus accroître la dette et même de la réduire, en rachetant des obligations d’Etat sur le marché (soit par l’intermédiaire de la Banque centrale, soit par une institution publique créée à cet effet avec des règles précises) et en les supprimant, comme le proposent Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne dans « Une monnaie écologique » (3) paru juste avant le confinement !

Encore une fois, il est essentiel d’établir des règles concernant la possibilité d’annuler des dettes. Mais si on se met d’accord sur les règles du jeu, ça ne pose strictement aucun problème dans le fonctionnement de l’économie. Ce n’est qu’une règle supplémentaire. Et les défauts de paiement, les annulations de dette et les impayés sont déjà prévus dans la comptabilité bancaire. Alors pourquoi ne pas prévoir un accord global pour réduire toutes les dettes publiques en même temps ?

En outre, donner à l’Etat une capacité de création monétaire permettra de financer sans difficulté tous les grands chantiers de la transition écologique (transports en commun, énergies renouvelables, isolation thermique, etc), qui permettront de créer un grand nombre d’emplois.

Plus fondamentalement, il est vital de ne pas accroître la dette publique pendant cette période de confinement. Sinon ça obligera tout le monde à faire plus de croissance par la suite (notamment pour rassurer les investisseurs sur le marché obligataire), ce qui serait catastrophique d’un point de vue écologique.

C’est aussi pour cette raison qu’il ne faut pas accroître la dette des ménages et des entreprises à l’issue de ce confinement : il ne faut pas leur demander de payer les loyers impayés des mois de confinement en les étalant sur le reste de l’année, ni demander aux entreprises de rembourser l’année prochaine les crédits de trésorerie exceptionnels dont elles auront bénéficié pour passer la crise, car cela va obliger tout le monde à vendre plus de produits et de services qu’en temps normal, ce qui va aggraver les problèmes écologiques (si tant est qu’elles arrivent à atteindre leurs objectifs, sans quoi elles feront faillite).

Plus globalement, il va falloir réfléchir sérieusement à la place que l’on doit donner aux crédits dans notre système économique pour qu’il soit durable : ils ne devraient être utilisés que lorsqu’ils apportent un bienfait collectif avéré, par exemple pour financer des logements sociaux, pour rendre possible l’achat d’appareils électroménagers chers et durables, pour assurer la trésorerie d’une entreprise, pour financer des investissements productifs ou encore pour financer l’achat ou la construction de logements (dans la mesure où ils ne nourrissent pas une bulle spéculative). En revanche, lorsqu’ils participent à la formation de bulles spéculatives sur les marchés immobiliers ou boursiers, ils contribuent à provoquer des crises financières qui ne génèrent aucun bienfait collectif. Mais surtout, nous devons faire en sorte que les dettes ne soient pas un piège dans lequel on s’enferme collectivement, de façon systémique. Aujourd’hui beaucoup d’entreprises (agricoles, industrielles, artisanales, de service) sont contraintes de vendre un maximum de produits ou de services et ne peuvent pas se reconvertir à des pratiques plus écologiques parce qu’elles sont très endettées.

Par conséquent, l’annulation ou l’allègement de certaines dettes sera certainement une des clefs essentielles de la reconversion à une économie plus durable, notamment dans l’agriculture.

 

 

EPILOGUE

Un déconfinement écologique

sans chômage de masse est possible

 

Après le déconfinement, le champ des possibles économiques est immense.

Tout d’abord, il est possible que certaines activités mettent du temps à redémarrer, car la demande risque de baisser, du fait qu’une partie de la population risque de se retrouver au chômage et qu’une autre partie aura puisé dans son épargne pour survivre (et payer son loyer). Bien sûr ce problème disparaîtrait si le gouvernement distribuait des revenus compensatoires suffisants et qu’il suspendait le paiement des loyers.

Ensuite, il est possible (et même très probable) que les différents acteurs économiques (notamment les entreprises et les banques) se méfient les uns des autres, ne sachant pas trop quels risques prendre et qui risque de faire faillite (notamment parce que l’évolution de la demande est imprévisible). C’est la peur de ne pas être remboursé et de ne pas pouvoir rembourser qui provoque une restriction des crédits qui freine la relance de l’activité économique. Cette peur est une des raisons pour lesquelles il faut toujours un certain temps pour sortir d’une crise économique et financière. Sauf si la trésorerie des entreprises et des ménages est inchangée (ce qui exige de reporter les dettes et de suspendre les loyers, et de verser une allocation suffisante aux ménages). Quant aux banques, c’est à l’Etat et à la Banque centrale de modifier les règles comptables de façon à ce qu’elles ne soient pas en difficulté financière.

Y aura-t-il un rattrapage ou une compensation de l’activité perdue pendant le confinement ? En fait cela dépend des activités : on peut supposer que certains projets prévus de longue date ont juste été reportés et qu’ils vont se réaliser sur les mois après le déconfinement (certains achats immobiliers en cours, des mariages, etc). Mais d’autres vont être annulés par peur de l’avenir et du chômage (là encore l’achat de biens immobiliers, de voitures, de vêtements, etc). Certaines activités vont reprendre de façon normale, sans rattrapage (coiffeur, garages automobiles, etc). Globalement, il est impossible de dire si l’activité va reprendre comme avant, moins qu’avant ou s’il va y avoir une frénésie de consommation. Il y a tellement de variables en jeu que tout est possible. Et cela dépend évidemment énormément des mesures qui seront prises dans les jours et semaines à venir par le gouvernement.

 

Et puisque tout est possible, certains en viennent à rêver d’un monde tout à fait différent à la sortie du confinement : ayant fait l’expérience, grâce au confinement, qu’on pouvait vivre sans travailler comme des fous, sans consommer tout et n’importe quoi, certains se sont mis à rêver d’un monde dans lequel on travaillerait beaucoup moins, où on se contenterait de l’essentiel et où on percevrait une allocation universelle (rêve qui est en train de devenir réalité, au moins le temps du confinement, en Espagne, qui ne voit pas d’autre solution possible pour maintenir un minimum de revenus pour les plus précaires).

Certains s’interrogent collectivement sur les activités qu’il faudrait garder et sur celles qu’on pourrait supprimer.

Et certains vont même jusqu’à espérer qu’un maximum d’entreprises et de banques fassent faillite pour pouvoir tout reconstruire à zéro. D’aucuns rêvent d’un effondrement du système productif, financier, bancaire.

Mais laisser les entreprises faire faillite, c’est aussi prendre le risque que seules les multinationales survivent (car elles ont plus de trésorerie) alors que les petits commerçants et artisans seront les premiers à faire faillite. C’est pourquoi il est préférable d’éviter les faillites.


Désormais, ce qui compte, c’est de mettre en place des règles du jeu qui soient adaptées aux défis de notre temps : des règles comptables intégrant les contraintes écologiques, des règles d’organisation permettant une production suffisante et durable, tout en atteignant le plein emploi.

Par conséquent, il me semble qu’il vaut mieux sauver un maximum d’entreprises de la faillite, puis les aider à se reconvertir vers des activités ou des pratiques plus écologiques (notamment dans l’agriculture, la mobilité, l’énergie, le bâtiment, etc) en ne finançant que les projets écologiques et en annulant les dettes qui contraignent certaines entreprises à poursuivre leurs activités polluantes.

Si l’Etat, les banques et les citoyens financent massivement tous les projets écologiques et seulement des projets écologiques, il y a un potentiel de création d’emplois gigantesque, notamment dans l’agriculture, la rénovation thermique, le développement d’infrastructures de transports en commun, les énergies renouvelables et la réparation. Mais attention : ça signifie qu’il va falloir former des millions de gens qui travaillent aujourd’hui dans des bureaux à des métiers plus manuels. Et ça, ça va être une sacrée révolution à laquelle il nous faut d’ores et déjà nous préparer collectivement ! L’avenir des créations d’emploi est essentiellement dans les champs et sur les chantiers ! Et la réduction du chômage passera probablement aussi par une réduction du temps de travail.

  

 

CONCLUSION

 

En 2020, le PIB mondial va probablement chuter fortement par rapport à 2019. Nul ne peut dire aujourd’hui si ce sera de 5, 10, 15 ou 20%, ou plus si le confinement doit se prolonger.

Et pourtant l’évolution du PIB (qui est calculé sur 1 an) ne devrait pas nous préoccuper outre mesure du moment que les besoins essentiels de la population sont satisfaits et que la situation financière de chacun ne s’est pas aggravée.

 

Or, si on y réfléchit bien, le confinement ne peut générer une crise économique et financière que si les dettes ne sont pas reportées et les revenus pas compensés pour assurer la survie.

Mais ce qui me frappe le plus, c’est que si les règles du jeu étaient bien conçues, nous devrions pouvoir reprendre notre activité comme si de rien n’était lors de la levée du confinement, sans aucune conséquence financière, sachant que notre survie peut être assurée pendant le confinement par la poursuite des activités essentielles (notamment l’agriculture et la santé) et le versement de revenus de substitution par l’Etat.

Je sais que ça paraît difficile à imaginer, tant on nous répète que c’est la réduction de l’activité économique due au confinement qui est la cause de la crise économique annoncée. Et pourtant, aujourd’hui, les congés payés, qui durent en moyenne 5 semaines, sont parfaitement intégrés dans la comptabilité des entreprises. Mais il est fort probable qu’au moment de leur instauration, certains patrons aient considéré qu’ils n’arriveraient jamais à absorber cette problématique nouvelle dans la gestion de leur entreprise. Ce qui nous donne beaucoup d’espoir pour l’avenir !

Je suis absolument convaincu que demain, en modifiant certaines règles du jeu, nous intégrerons sans aucune difficulté des périodes de confinement mais aussi les défis écologiques dans notre système économique et financier. Et que les générations à venir trouveront absurde qu’un arrêt temporaire et partiel de l’activité économique dû à une pandémie ait pu générer des faillites en chaîne et un chômage massif.

Tout cela parce que les règles du jeu économique ne sont plus adaptées à nos besoins. Des règles comme les taux d’intérêt, les loyers, les marchés financiers, s’imposent à nous comme une évidence parce que nous nous y sommes habitués. Mais ce sont bien des êtres humains qui, à un moment donné, les ont créées et ce sont bien des êtres humains (de notre génération) qui vont, à un moment donné (et le plus tôt sera le mieux) devoir les modifier, parce que ces règles ne sont plus adaptées aux défis de notre temps, que sont notamment la préservation du climat, des ressources et de la biodiversité pour l’Humanité à venir.

Ainsi, dans les semaines à venir, il faudra absolument alléger les dettes, partout dans le monde, pour ne pas être obligés de faire un maximum de croissance, ce qui aurait pour conséquence de dévaster encore plus notre environnement.

 

Et dans les jours à venir, avant le début du mois de mai, le gouvernement va devoir :

  1. Suspendre le paiement de tous les loyers de mai (qui sont habituellement payés avec les revenus et recettes du mois d’avril)
  2. Légaliser les loyers impayés d’avril (sans demander un rattrapage)
  3. Verser une allocation à tous les indépendants et précaires qui n’ont rien reçu pendant le confinement du fait d’un mode de calcul inadapté à leur activité ou à leur situation
  4. Demander aux banques de repousser tous les échéanciers de remboursement de crédits

 

Attention, nous sommes dans une situation extrêmement périlleuse.
Si l’Etat ne suspend pas le paiement des loyers et qu’il ne verse pas une allocation suffisante à tous ceux qui en ont besoin (y compris les travailleurs non déclarés), on risque de se retrouver avec de graves problèmes d’insécurité, de vols, de cambriolages, d’insurrection, car certaines personnes n’ont plus aucune ressource pour arriver à se nourrir.
Et c’est sans compter avec les conflits insolubles entre locataires et propriétaires qui vont émerger du non-paiement des loyers.

 

Comme je viens de le démontrer, le gouvernement a vraiment les moyens d’éviter une crise économique dévastatrice : il a les moyens d’éviter les faillites, le chômage et l’aggravation de la précarité.

Et il a les moyens de profiter de cette crise pour établir de nouvelles règles du jeu mondiales qui permettront d’aller vers une économie vraiment durable.

 

 

  (1) « Une majorité de Français épargne moins de 50 € par mois » https://www.jechange.fr/placement/epargne/news/etat-epargne-francaise-10-15-09-10-2015-3665

  (2) Bertrand SENE « Ecosophia », Editions BoD, 2017 à commander sur bertrandsene.fr

  (3) Alain GRANDJEAN et Nicolas DUFRENE « Une monnaie écologique », Editions Odile Jacob, mars 2020