Le mythe de la « planche à billets »
Billet du 17 août 2017
Quand on parle de « faire fonctionner la planche à billets », on s’imagine généralement que l’Etat imprime des billets en grande quantité pour financer les dépenses publiques et relancer l’économie, ce qui (selon une légende bien entretenue) générerait de façon quasi-automatique de l’inflation.
Or dans cet imaginaire, rien ne correspond à la réalité contemporaine.
En effet, premièrement l’Etat n’a pas le pouvoir d’imprimer des billets pour financer ses dépenses et deuxièmement l’augmentation de la quantité de monnaie en circulation ne génère pas automatiquement d’inflation. Loin de là.
Décryptage d’un mythe savamment entretenu...
L’ETAT ET LA PRODUCTION DE BILLETS
Aujourd'hui, en France, la production de billets est sous la responsabilité de la Banque de France et elle correspond aux retraits effectués dans les guichets automatiques des banques.
De son côté, l’Etat n’a pas le droit de demander à la Banque de France qu’elle lui fournisse des billets gratuitement pour payer ses dépenses. Par conséquent, l’expression « planche à billets » est pour le moins inappropriée, puisque l’Etat ne peut pas faire imprimer des billets à son profit.
L’Etat est financé par des impôts, des taxes et des emprunts sur le marché obligataire, mais il ne peut pas se financer en imprimant des billets.
Donc pas de possibilité d’utiliser la « planche à billets » en tant que papier monnaie pour l’Etat !
MYTHE OU REALITE HISTORIQUE ?
Mais alors d’où vient ce mythe ? Ce mode de financement de l’Etat fut-il utilisé par le passé ? Y a-t-il des pays où il est encore pratiqué, même si c’est interdit en France aujourd’hui ?
Ce qui est le plus étonnant quand on étudie ce phénomène d’un point de vue historique, c’est qu’on se rend compte que l’utilisation de la « planche à billets » au sens strict du terme (en tant que production de billets au profit de l’Etat) a très rarement été pratiquée : Abraham Lincoln aurait fait imprimer des billets dans les années 1860 pour financer la Guerre de Sécession aux Etats-Unis et certains prétendent que l’Iran ou le Zimbabwe l’auraient pratiqué récemment. Difficile à vérifier dans les deux derniers cas, car ces deux pays ne sont pas très transparents. En outre, il est fort possible que les liens de cause à effet ne soient pas ceux que l’on croit : en clair, ce n’est peut-être pas l’impression de billets qui a généré l’inflation, mais plutôt l’inflation (générée par d’autres facteurs) qui a contraint à imprimer de plus en plus de billets, jusqu’à devoir accroître la valeur faciale des billets.
En vérité il existe de nombreuses méthodes pour faciliter le financement de l’Etat, mais la « planche à billets » (au sens strict) fut très rarement utilisée.
Alors pourquoi une telle expression est-elle devenue aussi populaire alors qu’elle ne correspond pas à une réalité ?
LE POUVOIR DE L’IMAGE
Parce que l’image des machines permettant de fabriquer des billets en très grande quantité permet de visualiser aisément une augmentation excessive de la quantité de monnaie en circulation.
Et c’est bien cela que les économistes veulent mettre en évidence : selon eux, une création excessive de monnaie aurait pour conséquence de générer une inflation excessive.
Sauf que si la chose paraît évidente en théorie, elle ne l’est pas dans la réalité des choses !
Et c’est là que ça devient intéressant !...
INJECTION DE MONNAIE ET INFLATION
Dans l’usage actuel de l’expression, la « planche à billets » signifie donc que l’Etat injecte une grande quantité de monnaie supplémentaire dans l’économie au travers des dépenses publiques (en s'endettant sur les marchés obligataires) ou que la Banque centrale injecte une grande quantité de monnaie supplémentaire dans le système bancaire (en rachetant des obligations aux banques notamment), ce qui aurait le même effet que la « planche à billets », à savoir de générer de l’inflation. En effet, d'après la théorie économique, dès lors que la demande augmente plus vite que l'offre, cela devrait provoquer une augmentation des prix des biens et services de consommation courante.
Or la réalité des faits contredit totalement cette croyance. Et ce pour plusieurs raisons :
1. En France, les politiques de relance budgétaire interviennent le plus souvent dans des périodes de ralentissement de l’activité (et donc de sous-utilisation des capacités de production), ce qui fait que l'offre peut rapidement s'adapter à l'augmentation de la demande, d'où l'absence d’inflation supplémentaire. Par contre, il faut reconnaître qu’elles peuvent accroître la dette publique si les recettes fiscales supplémentaires générées par la relance ne compensent pas les dépenses supplémentaires.
2. On parle également de « planche à billets » lorsque les Banques centrales injectent de la monnaie dans le système bancaire, comme c’est le cas en Europe et aux Etats-Unis actuellement, ce qui permet indéniablement de réduire les taux d'intérêt. Mais cette injection de liquidités ne se traduit pas toujours par un accroissement des crédits (et donc de la quantité de monnaie en circulation), car la demande et l'octroi des crédits dépendent essentiellement de la confiance des particuliers, des entreprises et des banques en l'avenir (plus que des taux d'intérêt). C’est pourquoi la « planche à billets » utilisée par la Banque centrale ne relance pas automatiquement l’activité et ne génère pas nécessairement d’inflation.
En outre, l'augmentation des crédits peut aussi bien servir à financer de la consommation (côté demande) que des investissements (côté offre), ce qui fait qu'une injection de liquidités de la Banque centrale peut aboutir à une augmentation de l'offre et de la demande en même temps, ce qui réduit d'autant l'effet sur l'inflation.
Enfin, on observe que, dans certaines périodes (2000-2006 par exemple), l'augmentation importante des crédits accordés par les banques n’a pas eu pour conséquence de générer de l’inflation mais de nourrir des bulles spéculatives (sur le marché immobilier ou à la bourse), d'autant que les plus-values immobilières ou financières réalisées sont alors essentiellement réinvesties dans l'immobilier ou à la bourse, et non dans la consommation courante. Et par conséquent, l'augmentation très forte de la masse monétaire dans ces périodes n'a pas d'impact sur l'inflation.
En conclusion, pour toutes ces raisons, dans la réalité, l'injection de liquidités par la Banque centrale ne génère pas automatiquement de l'inflation. Loin de là.
3. Le niveau de la consommation et de l’investissement varie en permanence et de façon importante (et parfois soudaine) en fonction de la conjoncture internationale et de la confiance en l’avenir des différents agents économiques, qui peuvent à tout moment choisir de mettre de l’argent de côté ou au contraire de ponctionner leur épargne, ce qui fait varier la quantité de monnaie en circulation. Et pourtant ces variations ont peu d’effet sur l’inflation, pas plus que n’en aurait une injection de monnaie de même ampleur par l’Etat.
On constate donc dans la réalité que la demande globale peut augmenter de façon assez importante sans générer d'inflation. Pourquoi ?
4. Pour bien comprendre la mécanique de l’inflation, d’un point de vue concret et réel (et non théorique), il faut répondre à la question suivante : un chef d’entreprise ou un commerçant cherche-t-il d’abord à répondre aux nouvelles commandes de ses clients (sans augmenter les prix), ou pense-t-il immédiatement à augmenter ses prix quand il voit les commandes augmenter ? En répondant à cette question, vous répondrez à la question de l’effet de l’injection de monnaie sur l’inflation !
De toute évidence, dans la plupart des cas, les producteurs et commerçants vont chercher à répondre aux commandes supplémentaires de leurs clients et donc augmenter leur offre plutôt que d’augmenter leurs prix. Dans la mesure du possible bien sûr. Cette relative stabilité des prix, même quand les commandes sont élevées, est aussi due à une situation de concurrence forte (notamment sur les prix).
Si on observe la réalité du fonctionnement de l’économie, on voit donc bien qu’une injection de monnaie supplémentaire n’entraîne pas automatiquement de l’inflation. Loin de là.
La vraie question est donc : quelle quantité de monnaie supplémentaire peut-on injecter dans l’économie sans générer une inflation excessive ?
A vrai dire, nul ne le sait. Mais si nous mettions en place une politique de création monétaire par l’Etat (comme dans Ecosophia), le résultat pourrait bien nous étonner !... Les marges sont probablement beaucoup plus grandes qu’on ne le croit.
LES VRAIES CAUSES D’UNE FORTE INFLATION
Concernant l’inflation, il est très important de faire tomber un mythe : la plupart des gens sont en effet convaincus que l’inflation est due au fait qu’on a créé trop de monnaie à un moment donné.
Or, les pays qui ont souffert d’une forte inflation savent que l’origine du mal est généralement tout autre : en effet, dans la plupart des cas, c’est une pénurie (liée à un conflit le plus souvent) qui provoque l’inflation (chacun cherchant à se procurer le peu de choses disponible à n’importe quel prix) ; parfois, c’est l’augmentation soudaine du prix d’un produit essentiel importé (comme le pétrole dans les années 1970) ; ou bien ce peut être le retrait massif de capitaux étrangers (généralement lié à un excès d’endettement ou à une crise politique) qui provoque une chute du taux de change, ce qui génère automatiquement une forte augmentation des prix des produits importés.
Dans tous les cas, l’augmentation initiale des prix (quelle qu’en soit sa cause, pénurie ou hausse du prix des importations) génère une flambée de tous les prix qui pousse les salariés à exiger des augmentations de salaires, ce qui contraint les entreprises à augmenter les prix : c’est la boucle prix-salaires, qui peut entraîner l’inflation dans une spirale infernale. C’est dans ce contexte que les Etats sont obligés de faire imprimer de plus en plus de billets pour répondre à la demande.
Par conséquent, dans l’immense majorité des cas, ce n’est pas la « planche à billets » qui provoque l’inflation, c’est l’inflation qui oblige à accroître la production de billets.
L’image de la « planche à billets » pousse à confondre la cause et l’effet. Ainsi l’hyperinflation de 1923 en Allemagne n’a pas été causée par une impression excessive de billets (ou quelque forme que ce soit de « planche à billets ») mais par un retrait soudain des capitaux étrangers (à cause du montant excessif des réparations de guerre qui rendait la dette allemande insoutenable), ce qui a fait chuter le mark et entraîné une flambée des prix des produits importés, d'où une forte inflation très vite accélérée par l’indexation des salaires sur les prix et par le fait que les allemands voulaient se débarasser au plus vite d’une monnaie qui perdait chaque jour de la valeur. Les autorités allemandes ont alors dû imprimer de plus en plus de billets (en modifiant la valeur faciale pour aller jusqu’à des milliards de marks).
L’hyperinflation la plus célèbre, celle de 1923 en Allemagne, qui a inspiré les traités européens interdisant à la Banque centrale européenne de financer les Etats, n’est donc pas due à la « planche à billets » mais à une dette excessive, imposée par les vainqueurs de la Première Guerre Mondiale.
POURQUOI FAIRE PERDURER UN MYTHE AUSSI ERRONE ?
Quel intérêt peut-il y avoir à faire perdurer une expression qui est aussi éloignée de la réalité du fonctionnement de l’économie ?
En vérité cette image populaire a plusieurs vertus (pour ceux qui en bénéficient).
1. Elle permet de justifier le financement de l’Etat par les marchés financiers plutôt que par la Banque centrale. En effet, selon la doctrine établie, le financement direct de l’Etat par la Banque centrale, qui correspond au phénomène de la « planche à billets » au sens strict (mais sans billets), générerait automatiquement de l’inflation puisqu’il augmente la quantité de monnaie en circulation sans augmenter l’offre de biens et services.
Cependant, l’émission d’obligations ne permet-elle pas elle aussi d’augmenter la quantité de monnaie mise en circulation par l’Etat ? Et dans ce cas, par quelle magie les marchés financiers parviennent-ils à augmenter l’offre de biens et services dans le même temps ?
Par ailleurs, on nous dit que si l'Etat était financé par la Banque centrale, il ne serait pas raisonnable. Mais au vu du niveau d'endettement des Etats aujourd'hui, on peut légitimement se poser la question : les Etats ont-ils été plus raisonnables en étant financés par les marchés qu'ils ne l'auraient été en étant financés par la Banque centrale ? D'autant plus que si les Etats n'avaient pas eu à payer de taux d'intérêt aux marchés, ils seraient beaucoup moins endettés. Alors tout cela est-il bien raisonnable ?
La vérité, c’est que rien ne justifie que le financement de l’Etat soit confié aux marchés financiers plutôt qu’à la Banque centrale ! Sauf peut-être l’intérêt des banques et des investisseurs ! Cette raison est bien sûr inavouable et pourtant si évidente !
2. Elle permet de mettre en garde contre l’accroissement de la dette publique. De nombreux économistes observent à juste titre que les politiques de relance budgétaire sont souvent inefficaces et ont surtout pour effet d’accroître la dette publique. Et pour discréditer ces politiques de relance, il est très pratique d’utiliser une image qui parle à tout le monde (et qui semble tellement logique) : la fameuse « planche à billets » ! Certains économistes nous expliquent alors que le seul effet d’une relance serait de générer de l’inflation, mais pas de relancer l’activité. Alors même qu’il n’y a pas eu d’inflation supérieure à 4% depuis 30 ans en France (et pour cause, vu le chômage de masse !). Mais une image populaire, même largement erronée, reste puissante et tellement utile !!!
De même que les religions abusent parfois de la crédulité des gens, de même les économistes ont parfois recours à des mensonges, tels que la « planche à billets », pour défendre leurs croyances (pourtant largement contredites par la réalité des faits)!
En conclusion, je pense qu’il est temps d’arrêter d’utiliser cette expression désuète qui génère plus de confusion et de contre-vérités qu’elle n’éclaire le débat.
Revenons aux faits et à la réalité du fonctionnement de l’économie si nous voulons sincèrement résoudre les problèmes économiques : parlons inflation, création monétaire, financement des dépenses publiques, consommation, épargne, investissement, bulles spéculatives, etc. Nul besoin de « planche à billets ». D’autant que l’expression devient totalement ridicule à un moment où la monnaie papier risque de disparaître (comme c’est déjà le cas en Suède). Mais ça, c’est un autre débat...